samedi 25 février 2012

La littérature en péril?

Suite à la publication de son ouvrage La littérature en péril, Tzvetan Todorov était venu donner une conférence au musée Fabre à Montpellier le 15 mars 2007. J'ai retrouvé ces notes il y a peu, et voulais vous les faire partager, pour revivre ces moments de "tremblements de sens" en compagnie d'un grand théoricien!

En premier lieu, Todorov analyse la double fonction de la littérature: elle prodigue du sens, tout en permettant une meilleure compréhension de l'existence. Il distingue par la même la vérité d'adéquation de la vérité de dévoilement, une vérité heuristique qui provoque un “tremblement de sens” en réintroduisant une fonction critique à la littérature, ce que Kant prône comme “oser savoir”. Todorov vise à transcender l'image de la littérature confinée au solipcisme ou au cynisme, en mettant en lumière sa réelle fonction philosophique et métaphysique.  Pour ce faire, l'auteur revient sur sa jeunesse. Ses cours de littérature étaient axés sur la lecture des textes, non sur le questionnement suivant : qu'a voulu dire l'auteur? Cette question doit servir de fil d'Ariane dans le cheminement qui démarre de l'oeuvre et aboutit à sa réception. Selon lui, le “péril” se situe dans la scission souvent opérée entre le monde des hommes et le monde de la littérature. Il n'existe pas de dichotomie entre ceux qui aiment et vivent et ceux qui lisent et écrivent. Ainsi, Todorov met en lumière la clé de voûte de son essai : l'imaginaire n'est pas coupé de l'expérience. Cette affirmation le mène à une définition plus précise de la nature même de la littérature. Elle peut tenir lieu d'objet digne de contemplation esthétique, tout en offrant un cheminement vers la réflexion. La littérature comporte de même une fonction heuristique, elle révèle une vérité du monde, et exhorte à mieux connaître ou comprendre autrui. De même, il existe un lien intime entre vivant et écrit. Si la littérature présente des buts didactiques, les leçons s'apprennent au travers du vivant. Cependant, toute littérature n'est pas nécessairement littérature d'éducation. Elle est aussi littérature de plaisir, et doit s'ancrer dans la vie. Elle s'entremêle à la vocation de l'être humain : élargir son univers, tout en s'incluant dans le sens commun. La vie et la littérature s'enchevêtrent pour enjoindre l'homme à préférer le mot “responsabilité” au mot “engagement”. Dans cette optique, la fonction de la littérature consiste de même à fournir du sens. Le sens ne préexiste pas à la vie, il se construit, et la littérature nous y aide. Proust, Racine, Corneille sont nos professeurs et nous enseignent à cultiver une certaine autonomie. Tout comme le lecteur, le texte est organique, et subit les assauts de la vie. Si la consommation de masse et l'individualisme prennent de plus en plus d'ampleur, la désaffection du symbolique annonce de nouveaux dangers. C'est dans le Discours sur l'origine que Rousseau dit : “L'être humain peut acquiescer ou résister”. Mais si nos anciens périls reculent, de nouveaux les substitueront. Todorov conclut alors par une note d'espoir, citant Malraux: “Le jour où le roman sera mort, le domaine très complexe des fantasmes aura disparu pour toujours”. En nouant le lien indéfectible qui unit le roman à la vie, aux fantasmes, aux désirs, il met en avant l'aporie d'une disparition littéraire, et la permanence d'un roman tel un miroir reflétant notre imaginaire. La littérature permet ainsi une transversalité dans le sens où elle s'offre à tous et se construit à partir de la lecture, de la décision subjective d'un être. Ainsi, elle combine de façon alchimique le singulier à l'universel, et ouvre des portes vers la compréhension humaine.

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